Pour accompagner cette courte animation inspirée par la menace nucléaire que fait peser sur nous la guerre en Ukraine, je vous invite à lire ce poème d’Aldo Braibanti écrit en novembre 1996 et tiré du livre EMERGENZE, Conversazioni con Aldo Braibanti. Voici ma traduction en français (vous retrouverez une copie du poème original en italien en bas de page.)
NOTITIA CRIMINIS
le ciel n’est pas bleu
la lune ne berce pas les amoureux languissants
l’arbre n’est pas la victime née pour quelques bûchers d’autres victimes nées
le chiot n’est pas une chaude fourrure pour matrone en chaleur
les enfants d’homme ne sont pas l’arme de chantage de serviteurs assassins
notre cerveau n’est pas la clef magique de trop de paradis mensongers
la planète n’est pas l’usine privée d’une poignée d’avides patrons
les prothèses toujours plus subtiles ne sont pas l’évangile de quelque big brother
l’offre interactive à double face n’est pas l’ultime piège d’un léviathan global
la parole qui donne la vie ou qui tue n’est pas l’épée des arrogants seigneurs de la guerre
le marché de tous les villages n’est pas l’entreprise équivoque de gangsters en gants blancs
le nom des choses ne peut empêcher la question de celui qui a soif de connaissance
l’eau polluée l’air pollué la terre polluée ne sont pas l’objet ambigu d’un cri d’apocalypse
l’impulsion à violer et à tuer ne peut à long terme annuler les impulsions de l’espérance
ta vie celle de ton fils de ton chien de la baleine de la mer de la forêt restante
n’existent pas pour subir l’intolérance des lâches pas plus que la tolérance de quelques uns
notre corps n’est pas un moloch qui dévore d’autres corps prostrés par la faim virulente
notre lendemain n’est pas l’utopique illusion d’un voyage dans l’hypocrisie de lumineux progrès
la force qui semble omnipotente seulement aux imbéciles est fragile comme une feuille arrachée à la tempête
le mépris hautain de quelques uns ne peut nous faire taire pour les laisser parler tout seuls
le rouleau de l’homologation ne peut écraser et assécher la fontaine irisée de la diversité de la vie
le vieux truc des valeurs ne peut déranger le feu intime de notre silence
quelque silence indigné mais toujours astucieux ne peut reporter trop longtemps notre hurlement refoulé
les ciseaux du castrateur ne peuvent stériliser la terre ne peuvent désinfecter le marais fécond
le rire obscène du bourreau ne peut mettre au pilori l’agonie de l’animal dont il se nourrit
les coupables arts de la guerre ne peuvent pas masquer la révolte perturbante du koan
l’ignorance et la violence ne peuvent pas faire des massacres de bisons et d’indiens
le berger ne peut plus tyranniser l’anxiété bêlante du troupeau
***
amis il est temps préparez la chaloupe
l’arche peut couler si elle ne connaît pas les grands ouragans
la petite barque est sûre si elle peut se charger de coexistence et de compassion
la coquille de noix peut naviguer sans hésitation vers les îles de la survie
elle peut contenir dans de minuscules valises de doux chiots rêveurs qui se fient à nous avec une confiance heureuse
elle peut se faire le cocon de tout être vivant pour expliquer à l’improviste la merveille d’un vrombissement d’ailes
elle peut nous donner un repos vigilant afin de recommencer à s’échanger les plus secrètes caresses
elle peut nous enseigner à chanter la vie et non la mort si nous apprendrons à regarder les mille couleurs du ciel profond
***
amis il est temps préparez la chaloupe de sauvetage
mais en attendant ne tuez pas les vieux les fous les chênes les loups les fourmis
ne refusez pas les récoltes luxuriantes de l’aihmsà ne rejetez pas un léger abandon à votre plaisir
reproduisez-vous avec tendresse mais ne vous multipliez pas maintenant que tous nos bateaux sont pleins
fermez tous les ghettos fuyez toutes les fêtes scandaleuses de la vanité
ne soyez pas complices de quelques infâmes bigots dans notre jardin menacé qui ne reconnaît plus ni toge ni couronne
ne fuyez pas votre peur tant que le courage est sur le seuil de votre cabane
ne rejetez pas l’archive de la mémoire mais ne la noyez pas sous les rites et les mythes
ne vous perdez pas dans le miroir extraterrestre des dieux qui sont les fils et non les pères de vos pleurs
ne cédez pas au chantage de qui ne sait pas qu’à la fin il sera victime de sa propre imprudence aveugle
ne soyez pas sourd à l’appel du barreur qui nous prévient d’être prêt et attentifs ici maintenant – ailleurs – à chaque instant de paix
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amis ayez la patiente hâte de lever la tête chaque minute sonne l’alarme
apprenez de nouveau à rire jouez comme dans la plus trépide enfance
Inventez vite le dialogue qui vous rend libre dans l’humilité d’une stupeur sans borne
proclamez en cœur notitia criminis aux irréductibles bureaucrates de l’extermination
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Lire le poème dans sa version originale (italien) datée octobre/novembre 1996, édité par la maison Vicolo del Pavone, Piacenza, via Giordano Bruno 6 – Italia