Le Neighb’ se servit un fond de whisky et alluma la télé. Un flot d’images identifiantes commença de lui asséner ses quatre vérités. Celles qui lui manquaient pour se sentir moins seul. Un molleton de signification se posa sur sa conscience. Tournez manège, la réclame, la météo, les infos, Noël…
Ça faisait des phrases et des phrases qu’il n’avait pas entendu parler d’autre chose. C’était un jour silencieux de décembre, avec des morts pendus dans les arbres sur la route de Vukovar, la ville des loups. Ou peut-être un autre jour, des années avant ou après, sur le dix-septième parallèle au Vietnam, au pied des tours jumelles à New-York, à Bagdad, Kaboul, Damas, Tripoli… Ou n’était-ce qu’un film en boucle ? Dans son cerveau, tout finissait par se brouiller. Impossible de se rappeler qui avait commencé.
Les journaux télévisés n’avaient pas cru bon de s’étendre. Les multinationales avaient menacé de retirer leurs budgets publicitaires si on révélait trop de détails. Seuls signes de la menace qui couvait, les bourses du monde entier n’avaient pas cessé de baisser et dans le plus puissant pays du monde, les fabriques d’armement lourd tournaient déjà à plein régime.
D’ailleurs c’était bien là le hic. Les marchands d’armes avaient eu beau racheter les médias et déployer tous leurs efforts pour faire pencher l’opinion en faveur de la guerre, ils n’avaient obtenu jusque là que de maigres résultats : à peine un petit porte-avion pour aller traquer les terroristes dans le désert de Perse. On voulait rire ou quoi ? Du coup, le prix du métal continuait de s’effondrer, entraînant dans sa chute des foules de chômeurs prêts à en découdre avec la terre entière. Mais cette fois il y avait du nouveau. Les experts avaient des preuves formelles que des apprentis sorciers non autorisés fabriquaient une bombe atomique au fin fond du désert pour nous offrir un feu d’artifice final de toute beauté. Parole de Bush.
La bouteille était vide. Le Neighb’ éteint machinalement la télé et recommença à arpenter la piaule qui se terminait au bout de trois pas par deux fenêtres donnant sur le mur d’en face. Puis, comme un automate, il enfila ses vieilles santiags et descendit marcher dans les traboules, avec l’idée plus ou moins nette de se glisser entre les grappes de filles qui gloussaient, serrées par deux ou par trois, d’humer leur souffle vaporisé par de petits jets de rires cristallins, de frôler leur insouciance nerveuse.
Le soir tombait déjà, à moins que le jour n’ait plus décidé de se lever. Il alluma sa dernière Malboro en ricanant intérieurement aux mots idiots et aux sourires figés étalés de long en large sur un mur pignon. Il jura en enjambant une merde de bestiole gavée aux croquettes. Un chien loup pensa-t-il, sans savoir pourquoi en dévalant les escaliers. Sûrement le clebs de Davy Croquette ! Il se retrouva rue des Forçats.
Pour se changer les idées, il entra chez l’arabe du coin avec l’envie de manger un MacDo. Une tête de veau fraîchement buclée l’avisa d’emblée de son oeil bleu pâle en agate. Elle semblait dire « Ici Mac Do Not ». Le courage lui manqua. Il ressortit avec de maigres olives noires et luisantes comme du plastoc.
Désœuvré, il se mit à filer le train sans conviction d’une Marilyn plutôt bas noirs et fumeuse des rues. De toute façon, elle était sûrement comme les autres, à savoir qu’elle ne menait nulle part. Sinon au frigo d’une belle-mère décorée comme un arbre de Noël. Avec des tas de questions indiscrètes dans le freezer pour le refroidir. Ils échangèrent un regard en coin, le temps d’un éclair, elle dans la vitrine du pinardier, lui dans la fente de son manteau qu’il trancha d’un coup de pupille sec et nerveux.
Le pinardier à la tête franchouillarde jouait du tastevin pour emballer un client. Les olives du Neighb’ firent un tour sur elles-mêmes. Il dévisagea la femme avec une insolence intérieure qu’elle prit sans doute pour un état de délabrement avancé, la taxa d’un sourire dédaigneux à 22% et poussa la porte du marchand de vin en sifflotant.
OK. Zero Killed. C’était le prix à payer pour échapper à une soirée de Noël encore plus merdique.