Comment ? Tu veux pas faire l’armée ?
– Avec moi, vous seriez sûr de perdre…
– T’irais pas nous défendre s’il y avait une guerre ?
Taty Lucette me fixait terrifiée, outrée. Elle avait survécu au bombardement de Saint-Etienne par les américains en 1944 pendant la retraite des allemands. Elle avait cherché son frère de 17 ans pendant deux jours avant de le reconnaître parmi les carcasses informes de victimes alignées, grâce à une chaussure et un portefeuille… Tout ce qui restait. Et je ne trouvais rien de mieux que de me faire exempter » P7 » :
– Je suis « Psychologiquement inapte au service militaire » !
C’était écrit noir sur blanc sur la feuille que je leur tendais, barré dans leurs yeux écarquillés comme des écrans TV et certifié par un large sourire sur mon visage…
Ma mère gardait le silence. Elle aurait préféré être débarrassée de moi pendant 18 mois. Trois « gosses » à élever toute seule, c’était pas une sinécure. Elle qui pensait souffler un peu pendant que je serais allé croupir au fond d’une caserne, où on m’aurait dressé. J’étais prévenu : il ne fallait pas compter sur elle pour me payer des études. « Demande à ton père de te trouver du travail » !
En bon pacifiste, je continuais à distiller mon venin.
– De toute façon, les gens vont toujours se battre pour se défendre soit-disant, jamais pour attaquer…
Taty Lucette revint à la charge avec l’élan d’une soeur du couvent del « Bambino Jesus » en direction de la façade de « San Giovanni Laterane ».
– Oui, pour défendre la paix ! On voit bien que tu n’as pas connu la guerre !
– Et toi que ça t’a marqué à vie ! C’est vrai que recevoir les bombes de ses propres alliés sur la tête, c’est pas facile à admettre : d’un seul coup, y-a plus de héros qui tiennent… Il y a les bons d’un côté et les bons de l’autre ! Et ça, c’est écrit en gros dans ta bible : depuis le méchant Caïn, la paix entre les hommes, c’est une guerre perdue d’avance. Alors je préfère être victime que bourreau. Le problème, c’est qu’avec toutes les guerres qui nous attendent, on va finir par créer un monde où il y aura plus de bourreaux que de victimes.