Pour l’instant ils ont gagné, les chefs de file, les donneurs de leçons, les porteurs de progrès, les baratineurs de l’histoire, les glorieux colons de la première heure, les grands et petits civilisateurs d’Orient et d’Occident, les chantres de la paix mondiale, les experts de la sécurité nationale, la soldatesque, les fabricants d’armements intelligents, les faiseurs de bombes, les vendeurs de bobards, les scénaristes de théâtres d’opération, les élus du peuple élu ou non élu, les baptiseurs à tout-va, les prêcheurs de dieux uniques ou multiples, les nucléarisateurs d’Areva, les spéculateurs sur le travail d’autrui, les actionnaires de fourchette de croissance à la table d’administration du Fouquet ou de la Rotonde Montparnasse, les boursicoteurs à un, deux, trois, dix zéros, les contrôleurs de la santé publique et leurs cortèges d’épidémiologues inféodés aux multinationales de Big Pharma, les vendeurs de sperme d’enfants blonds aux yeux bleus non contaminés, les trafiquants d’organes, les baratineurs d’éternité, les économistes de la croissance, les as de la création de monnaie scripturale, les assureurs du risque humain imminent, les champions de l’actuariat, les statisticiens et les prévisionnistes, les criminologues et les politologues vendus au président le plus offrant, les gardiens de l’état d’urgence permanent, les instrumentalisateurs de l’opinion publique, les médias de l’émotion et de la rémotion de l’information, les fonctionnaires dématérialisés de leurs fonctions, les manipulateurs de data, les logiciens pondeurs d’algorithmes, les cerveaux de l’intelligence artificiels et les robots non ménagers, les psychiatres, psychologues et sociologues de tout poil sauf des miens,
Pour l’instant ils ont gagné.
Pour l’instant seulement.
Car le pétrole coule encore dans nos veines.
La bouffe en pilule ne fait toujours pas recette dans les capsules spatiales.
Mais bientôt, ne restera aux gens ordinaires, aux paysans, aux pêcheurs, aux vieux, aux chômeurs, aux sans dents, aux clodos, aux prolos, aux mères de jumeaux, triplés et quintuplés fécondés artificiellement, aux débiles mentaux inalphabètes, aux drogués, aux immigrés, aux déracinés de la décolonisation, aux migrants clandestins et aux demandeurs d’asile, à tous les chasseurs de terre…
ne restera qu’à participer à la grande illusion de la fin de la faim dans le monde grâce à la coléoptérisation de l’alimentation…
ne restera qu’à se fier aux robots de la désindustralisation et à l’élevage intensif de scarabés dorés et autres chenilles Vanessa…
ne restera qu’à mâcher les nuées d’insectes rescapés aux agriculteurs dronisés par Bayer et Monsanto…
ne restera qu’à devenir vegan et à végéter pour participer à la production de gaz carbonique de la planète, comme les vaches à lait et les boeufs à MacDo.
L’Afrique peut bien déborder en Méditerranée, les noms gagner du terrain. Des milliers d’yeux luire dans l’obscurité de nos banlieues, à l’écart de nos gares de triage et de la grande démocrature de la consommation de consommateurs.
Si j’étais aveugle, j’arpenterais nos cités insensées à l’arme blanche pour poignarder la nuit en guise de dernière sommation aux cons, avant l’aveuglement généralisé. Je tailladerais tous les écrans qui nous tiennent prisonniers de la matière et nous éloignent des étoiles. Mais je ne suis comme toi, qu’un pixel mort dans Google Earth, qu’un exemplaire de terrien au grand zoo du parc humain, tout juste bon à épaissir la couche d’ozone qui enferme mes neurones, à météoriser mon angoisse existentielle dans cette vie transgénique, à battre mes paupières ionisées devant le plasma de l’écran en répétant ces mots sans comprendre :
La vie cette aube aveugle
qui beugle sur le monde ?
Et les terres du sud cachées
sous des noms de pays en feu ?
Et les militaires qui sourient
dans le jardin aux grenades ?